lu dans le soir : Gabriel Zucman : « Jugez-vous normal que les milliardaires paient moins d’impôts que leurs chauffeurs ? »

lu dans le soir : Gabriel Zucman : « Jugez-vous normal que les milliardaires paient moins d’impôts que leurs chauffeurs ? »

Si les 3.000 milliardaires du monde payaient un impôt équivalent à 2 % de leur fortune, les Etats disposeraient chaque année de 250 milliards de dollars de recettes fiscales supplémentaires. L’économiste français Gabriel Zucman a rendu son rapport au G20, qui est au menu de la réunion des ministres des Finances jeudi et vendredi. Les milliardaires sont des veinards : ils paient moins d’impôts que vous et moi. Pour Gabriel Zucman, cette « bonne fortune » est indue. Sollicité par le Brésil, qui préside cette année le G20, le forum de coopération entre les principales économies développées et émergentes de la planète, l’économiste français a rendu, fin juin, un rapport dans lequel il préconise un impôt minimal mondial annuel pour les ultra-riches, équivalent à 2 % de leur patrimoine. Selon l’agence de presse Reuters, le Brésil négocie actuellement pour que les ministres des Finances du G20 publient, à l’issue de leur réunion cette semaine à Brasília, un communiqué « sans précédent » sur la coopération fiscale internationale, incluant cette taxation des ultra-riches, qui sera ensuite à l’agenda du sommet des chefs d’Etat et de gouvernement en novembre prochain. Dans l’entretien qu’il nous a accordé, Gabriel Zucman présente sa proposition, très concrète, aux lecteurs et lectrices du Soir.

Pourquoi faut-il, selon vous, instituer un impôt minimum mondial sur les ultra-riches ?

Cette catégorie de contribuables a, aujourd’hui, les taux d’imposition les plus faibles de tous les groupes sociaux parce qu’elle échappe dans une large mesure à l’impôt sur le revenu. Plusieurs études récentes – menées, souvent en collaboration avec les administrations fiscales, en France, aux Etats-Unis, aux Pays-Bas, dans les pays scandinaves, en Italie… – ont montré l’ampleur du phénomène. Au-dessus d’un certain niveau de patrimoine, de l’ordre de 100 millions d’euros ou de dollars, ces contribuables « structurent » leur fortune de façon qu’elle ne génère pas ou très peu de revenus qu’ils doivent eux-mêmes déclarer. Concrètement, les très riches détiennent leur patrimoine, essentiellement constitué de parts dans des entreprises cotées ou non cotées, via des holdings. Ces sociétés écrans touchent les dividendes, qui échappent ainsi à l’impôt sur le revenu. De sorte que le taux effectif d’imposition à cet impôt – qui constitue, en principe, la pierre angulaire de la progressivité fiscale – atteint quasiment zéro pour les milliardaires. A titre d’exemple, le média américain ProPublica avait révélé en 2021 que certaines années, Elon Musk ou Jeff Bezos avaient déclaré zéro revenu ou presque… à tel point que le second avait demandé et obtenu le bénéfice des allocations familiales !Cependant, si leurs dividendes restent « gelés » dans ces sociétés holdings, comment les ultra-riches peuvent-ils en profiter ?

Soit en consommant à travers leurs sociétés holdings (qui financent yachts, jets privés et repas d’affaires), soit en se versant un dividende, qui est taxé, mais qui – et c’est le point crucial – est tout petit par rapport à leurs vrais revenus économiques. Quand vous touchez des dizaines de millions d’euros de revenus chaque année, vous en épargnez et réinvestissez la plus grande partie. Donc : vous accumulez.